Libye : sans nationalité, sans passeport, c’est une prison à ciel ouvert pour les Kel-Tamasheq (Touaregs)

16/08/2016

Libye : sans nationalité, sans passeport, c’est une prison à ciel ouvert pour les Kel-Tamasheq (Touaregs)

Les Kel-Tamasheq y combattent encore sur tous les fronts : contre l’EI (Etat islamique), contre les milices qui pullulent dans le pays et, récemment, contre les Toubous. Malgré tout, ils ne possèdent ni le passeport ni la nationalité de ce pays pour lequel ils meurent depuis des décennies.Et depuis 2013, sans numéro d’identification pas de salaire, que l’on soit militaire ou fonctionnaire civil.

 «Je ne sais pas à quoi ressemble un passeport. Je suis né et ai grandi en Libye, mais je ne possède aucune nationalité».

Ce témoignage d’un jeune Touareg de 29 ans et né en Libye, rencontré en Allemagne où il attend présentement la reconnaissance de son statut de réfugié, est l’occasion de faire le point sur la situation administrative des Kel-Tamasheq en Libye aujourd’hui.

Une si longue attente

Partis, il y a longtemps, à la recherche d’un avenir meilleur, des Touareg se sont installés en Libye. D’autres y sont nés. Parmi eux, les jeunes hommes ont, en grande majorité, intégré l’armée. Pour les intérêts libyens, ils ont combattu au Liban, au Tchad et en Angola dans les rangs de la Jamahiriya… sans jamais obtenir de passeport ni la nationalité libyenne.

Revendications infructueuses

Pendant la « guerre des Toyota » (en 1986, contre le Tchad, au sujet de la bande d’Aozou), les Kel-Tamasheq avaient exigé d’avoir la nationalité avant d’aller combattre au Tchad ; le raïs leur avait promis qu’il satisferait cette doléance dès leur retour. Pour les Sadchin, une tribu arabe de Libye, ils avaient conditionné leur départ à l’obtention de la nationalité sans quoi ils ne bougeraient pas, ce à quoi Kadhafi avait cédé. Pour les Kel-Tamasheq, jusqu’à nos jours, cette revendication est restée lettre morte.

En 2005, les combattants de la Katiba Tendé ont reçu une carte d’identité de 10 ans (bitaqachaghsiya en arabe) mais à son expiration, cette carte d’identité est renouvelée à condition d’avoir un carnet de famille que ne possèdent que ceux qui ont la nationalité…

En 2007, les Kel-Tamasheq dans leur ensemble et sous l’influence de la Katiba Tendé, ont manifesté pour demander aux autorités libyennes la nationalité. Cette fois-ci, la réponse du pouvoir a été d’offrir une voiture à chacun des combattants de la Katiba, cette ruse a stoppé les manifestations. Une stratégie qui, semble-t-il, a bien fonctionné à l’époque, et la revendication est tombée dans les oubliettes.

Depuis la mort de Kadhafi, la carte d’identité qui est offerte aux combattants de la Katiba Tendé est devenue source de problème (pour ceux qui en possèdent une). On commence à les arrêter au prétexte qu’ils ont soutenu le raïs, car ils sont considérés comme des mercenaires de Kadhafi. Ou encore, on les accuse de posséder cette carte d’identité en prétextant qu’elle est falsifiée.

Un numéro pour chaque citoyen

Depuis 2012-2013, une nouvelle loi oblige chaque citoyen à avoir un numéro d’identification (raqimwatani en arabe), ce numéro est octroyé à ceux qui ont la nationalité. Toute démarche administrative est conditionnée à ce numéro d’identification… même pour acheter une carte SIM dans un commerce. Ou même pour avoir une place au cimetière, c’est le cas dans le sud de la Libye, à Aljoufra (entre Sebha et Syrte), pour avoir une place au cimetière, il faut impérativement avoir ce numéro d’identification, sinon impossible d’enterrer ses morts.

L’inimaginable

Depuis mai 2013, tous ceux qui ne possèdent pas ce numéro d’identification ne perçoivent pas non plus de salaire, qu’ils soient militaires ou fonctionnaires civils… cela ne compte pas, ce qui importe c’est ce fameux numéro. On estime à 32 000 le nombre de familles touarègues vivant en Libye sans ce numéro d’identification. Ainsi à Oubari, les Kel-Tamasheq sont majoritaires et seuls quelques dizaines possèdent ce numéro d’identification. Résultat, plus de 80% des Kel-Tamasheq d’Oubari ne perçoivent pas un centime des autorités en place. La porte aux trafics en tout genre est ouverte. Un marché noir se développe, tous sont armés et prêts à tout pour survivre.

En Libye, les Kel-Tamasheq qui possèdent la nationalité n’atteignent pas la centaine, et parmi eux, nombreux sont ceux qui l’ont achetée. Même les enfants nés et enregistrés dans un hôpital libyen ne possèdent pas la nationalité. Le passeport, ils ignorent ce que c’est.

Seulement 10 % d’entre eux peuvent voyager. Le refus et la mauvaise volonté des autorités libyennes de délivrer la nationalité ainsi qu’un passeport à ces populations les ont contraintes à développer des circuits parallèles dangereux, au prix de leur vie. Pouvoir se déplacer est vital pour tout être humain.

Prison à ciel ouvert

La demande d’être reconnu comme citoyen à part entière dans ce pays n’a cessé de resurgir d’année en année, c’est un problème récurrent. Les Kel-Tamasheq avaient l’espoir que les nouvelles autorités prendraient en compte cette demande ancienne, mais aujourd’hui ils réalisent que les autorités actuelles ont mis en place de nouvelles directives, les éloignant encore plus de cet espoir qu’ils nourrissaient.

Le chantage et la mauvaise volonté politique à leur égard ne datent pas d’aujourd’hui. Les droits humains et le droit du sol sont absents des lexiques libyens pour le moment.
La Libye est devenue une prison à ciel ouvert pour ces communautés. Les lois et les frontières érigées de part et d’autre obligent ces populations à rester coincées sur place malgré elles. Combien de temps cela durera-t-il encore ?

Certains de nos sages disaient : « après 40 jours dans le même endroit, on en devient esclave ».

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Commentaires

Amélie Jacques
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Merci pour cet article très intéressant.

Guy Muyembe
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Voilà un gros problème. De fait ces touaregs sont apatrides dans leur propre pays.

Ben Ali Moukhtar
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Wow! D'abord félicitation pour votre article! Cette article peut toucher toute personne qui a du cœur. Et concernent ce changement, je pense que peut être dans 10 ans au moins, voir même 20 ans, ou bien jamais. Mais chez les sages disent que celui qui a attaché l’éléphant, c'est lui seule qui peut le détacher.
Les occidentaux ont rendu la Libye tel qu'il est aujourd'hui, c'est à eu de le changer. Si non il subirons les conséquence, plus que ce qui viens de se passer en France ce dernier temps, parce que la Libye est la porte pour entrée en Europe, vous imaginez ce que je veux dire par là?

Assaleck AG TITA
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Merci de m'avoir lu.Allez-y au fond de vos idées, ici est le lieu pour partager ses idées et en faire profiter les autres. Nous apprenons les uns des autres.

Mohamed Ag Amadane
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Très bon article Assaleck, c'est d'une très grande importance de rappeler ce problème qui n'a que trop duré.

Assaleck AG TITA
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Merci. Le plus important à mon avis c'est que la jeune génération comprenne ce qui l'attend en allant s'aventurer dans ces pays qu'on croit le plus souvent accueillant et une possible opportunité de gagner sa vie. Cette image est fausse dans la majeure partie des cas.

Wifi ahmed
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Compliqué et difficile comme situation.

Assaleck AG TITA
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Merci de m'avoir lu. C'est vraiment dramatique et inhumain. Je pense que cela peut changer si l'on se décide réellement à vouloir le changer. Sa passe par les populations concernées d'abord et ensuite leurs représentants politiques.