Kidal : une jeunesse laissée pour compte qui tire le diable par la queue

20/11/2013

Kidal : une jeunesse laissée pour compte qui tire le diable par la queue

Des jeunes au Stade municipal de Kidal lors des festivités du 22 septembre 2009
Des jeunes au stade municipal de Kidal lors des festivités du 22 septembre 2009.

«  Je te donne ou tu me donnes ; je t’arrache ou tu m’arraches. Voici comment survivent les jeunes présentement », affirme un jeune sur place.

Une jeunesse laissée pour compte.  Ceux qui sortent des universités de Bamako (à plus de mille kilomètres de distance de Kidal) sont accusés inévitablement de manquer d’expérience. En réalité, cet argument est de tout temps de mise afin que les vieux loups conservent toutes les commandes. Dans certains cas, les jeunes sont systématiquement écartés des ONG en général par les recruteurs, car ceux-ci, largement à la botte des responsables institutionnels, n’ont rien à leur refuser. Fermement désireux de conserver à leur profit exclusif le monopole du personnel afin de contrôler l’organisme tout entier et de décider comme bon leur semble, ces responsables ont inventé ainsi selon les circonstances une sorte de prolongation à l’infini de leur immense pouvoir qui ne saurait (pour combien de temps encore ?) se partager.

Au final, la frange la plus fragile de cette jeunesse finit par dépendre de quelques personnalités influentes qui leur balancent quelques billets de temps à autre afin de les enfoncer dans la dépendance et les avoir pleinement sous leur contrôle. En échange ? Leur faire faire tout ce que ces dernières souhaitent.

Le passe-temps

Cette jeunesse passe ainsi ses journées et ses soirées à tourner en rond d’une famille à une autre, de chez un ami à un autre. C’est la seule habitude qui lui permet d’échapper à cette routine infernale.

Autour d’une théière de thé constamment sur le feu dans la plupart des familles, les jeunes perdent la notion du temps, sa valeur aussi, les années passent et rien ne change. L’héritage d’une certaine solidarité unique en son genre se maintient cependant depuis des générations, cela permet encore à ces jeunes de résoudre quelque peu certains problèmes quotidiens tels que le lancinant problème de l’argent de poche ou de la cigarette. Certes, la question quoi et où manger n’est pas encore un problème, puisque chacun peut manger chez son ami  (le plus souvent chez ceux qui sont mariés) ou dans n’importe quelle famille, qui en fait un devoir absolu et n’est jamais remis en question. Le repas est assuré pour tous. Il s’agit d’une hospitalité naturelle bien connue chez les Touareg, lorsqu’on ne les qualifiait pas encore d’islamistes ou de terroristes. Il ne faut surtout pas que cette page de l’histoire soit tournée, mais nous devons inventer une nouvelle page, celle qui permettrait à toutes les bonnes volontés d’obtenir un minimum vital sans devoir recourir à des méthodes hors du temps et pour le moins dégradantes.

Les années passent, les espoirs s’envolent. Loin d’être autonome, cette jeunesse, dans sa majorité, finit par prier et adorer comme un saint celui qui peut lui offrir un espoir, même éphémère et peu importe ce qu’il propose. Le licite, l’illicite, le légal ou l’illégal ne sont plus à l’ordre du jour. Pourvu que l’on s’en sorte, telle est la question primordiale.

Avant la crise qui a secoué tout le pays, beaucoup de projets étaient destinés à remédier à cette situation, mais l’État malien n’a pas su privilégier les bons interlocuteurs, ceux qui auraient été capables de moderniser des coutumes très archaïques et de se donner corps et âme pour le bien-être de la communauté dans son ensemble. Il a préféré traiter avec ceux qui lui versent un tiers du budget avant même la réalisation dudit projet. Dont l’exécution commence pratiquement dans les coulisses de l’administration à Bamako.

Ensuite, certains projets de développement étaient mal conçus puisqu’ils ont été ficelés par des spécialistes très éloignés du terrain pour s’imprégner de la réalité, c’est-à-dire qu’ils ne répondaient ni aux attentes ni aux besoins des populations à la base. Ces projets de développement sont forcément éphémères s’ils ne sont pas axés sur le long terme. Les programmes sont conçus hélas généralement rien que pour débloquer de l’argent, non pour atteindre des objectifs sérieux de développement.

Des jeunes à Kidal en décembre 2011
Des jeunes à Kidal, décembre 2011.

C’est pour cette raison qu’ils sont très mal gérés. Aucun suivi digne de ce nom ne se fait pour savoir comment l’argent a été investi. Plus grave encore, les acteurs de développement manquent cruellement de synergie, chacun agit dans son coin. Ce qui est étonnant, personne n’est sanctionné, depuis qu’Amadou Toumani Touré (ATT) avait dit en son temps qu’il ne « voulait pas humilier un chef de famille ». Donc la voie était libre pour s’enrichir du bien public. Les autorités locales sont complaisantes de cet état de fait. Puisqu’elles aussi gagnent une part du pactole. Une règle bien connue dans la gestion des projets à Kidal : chacun dans son petit coin gère à sa guise, décide et ordonne. « Ne te mêle pas de ma gestion et je ne me mêle pas de la tienne. » Je te laisse faire et laisse-moi faire. Nul ne doit s’immiscer dans la gestion de l’autre. Le pauvre nomade qui attend un changement est noyé dans ce grand cercle de la bureaucratie, qui tarde à trouver les solutions les plus élémentaires.

Paradoxalement durant cette crise, beaucoup de jeunes diplômés originaires de Kidal ont eu du travail, parce que les Sudistes ne voulaient plus aller au Nord. Mais s’agissant des sans-diplômes, ils travaillent dans l’informel (le petit commerce de bétail ou la musique), la majeure partie de la jeunesse est sans qualification, alors qu’il y a des métiers porteurs, notamment l’électricité, le bâtiment, la réparation des véhicules, la soudure, etc. Certains jeunes de Kidal qui ont appris des métiers manuels se débrouillent bien, mais ils manquent sérieusement de qualification et ne peuvent évoluer.

Cette situation résulte du manque de volonté du gouvernement ainsi que de ses représentants locaux à accompagner les jeunes dans la vie active. Par des initiatives concrètes pour les occuper et pouvoir leur donner une chance de contribuer à la construction de leur nation. Les structures de base à tout développement sont quasi absentes. Ce n’est pas un hasard si certains  jeunes, faute de mieux, se laissent influencer par des trafiquants de tout genre, au péril de leur vie.

Pourquoi il n’y a rien d’autre à faire pour les jeunes que de risquer leur vie à faire du trafic de cocaïne ?

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Commentaires

Chantal Faida
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Il y a un pour tout. Le temps de construire le Mali est arrivé. La jeunesse doit imaginer comment le chômage en créant par soi même des entreprises, même informels. BRAVO POUR LE TEXTE

Traoré Djibril
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Mon frère, tu as parfaitement raison. Tu ne racontes que des réalités qui sautent à l’œil.

Assaleck AG TITA
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Merci bien.

serge
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très interessant cet article... tous les touaregs ne sont pas des terroristes comme parfois on peut l'entendre dans les médias

Assaleck AG TITA
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Merci pour tout.