Entretien avec Mossa AG KEYNA « Mon objectif est que les Kel-Tamasheq (les Touaregs) obtiennent leur terre »

01/09/2014

Entretien avec Mossa AG KEYNA « Mon objectif est que les Kel-Tamasheq (les Touaregs) obtiennent leur terre »

Mossa AG KEYNA Crédit photo: Pascale RAMEL
Mossa AG KEYNA Crédit photo: Pascale RAMEL

Je suis Mossa AG KEYNA, artiste musicien du groupe TOUMAST
Peux-tu me dire ce que tu as retenu de ton expérience en tant que combattant durant la rébellion des années 90 au Niger, qu’est-ce qui t’a marqué le plus et que tu as toujours à l’esprit ?
Mes idées n’ont pas changé. Mon objectif est que les Kel-Tamasheq (les Touaregs) obtiennent leur terre, peu importe que ce soit au Mali ou au Niger. L’essentiel que ce soit une terre des Kel-Tamasheq. C’est dans ce but que je me suis engagé dans la rébellion touarègue au Mali en 1990. Mais la guerre, je l’ai faite au Niger. La cause est la même, que ça soit au Mali ou au Niger, pour moi il n’y a pas de différence.

Donc, ta volonté, ta motivation sont toujours les mêmes ?
Oui, ce sont toujours les mêmes, rien n’a changé en moi et je ne perds pas espoir : cela arrivera un jour, d’une façon ou d’une autre. Je suis convaincu qu’un jour les Kel-Tamasheq auront un pays.
Lorsque je suis arrivé en Libye à la base militaire « 2-mars » en 1987, je n’avais que 15 ans. C’est là-bas que j’ai grandi, puis six ans plus tard, j’ai été blessé par balles dans les montagnes et je suis venue en France, grâce à l’aide et à la solidarité de certaines personnes. Les villes, je ne les ai pas connues. Je ne connais que le Ténéré, les montagnes d’Adagh Bous à la frontière avec l’Algérie et la Libye, Khalbaboti du côté de Ménaka et Tigharghar dans la région de Kidal. A cette époque, chaque combattant était le frère de l’autre, qu’il soit du Niger, du Mali ou de la Libye.

Et aujourd’hui, tu penses que ce n’est plus le cas?
Je ne sais pas. Aujourd’hui, un « Achamor » (jeune chômeur) te demandera d’où est-ce que tu viens. Tu es de quel front ? De quel pays, de quelle région, de quelle tribu ? Et tant d’autres questions. Et ça, ce n’était pas le cas lorsque nous avions pris les armes au départ. Il y avait un front commun pour le Niger et un autre pour le Mali, mais par la suite les mouvements se sont divisés. Chacun a revendiqué son adhésion à un front, alors qu’auparavant, il n’y avait pas les histoires de fractions et d’appartenances ethniques. J’étais dans le camp en Libye lorsque cette division a éclaté. Puis ça s’est étendu jusqu’au Mali. Aujourd’hui, c’est vraiment ça qui a changé. Certains ne se battent plus pour la cause commune et ne pensent qu’à leurs intérêts personnels, à acquérir une renommée ou à faire profit.
Je suis convaincu que l’objectif des combattants, ceux qui sont sur le front et qui risquent leur vie, est d’avoir une terre pour les Kel-Tamasheq. Ils se battent pour que leurs mères retrouvent la liberté, qu’elles puissent vivre en paix, à l’ombre, avec leurs enfants et que personne ne leur confisque la gestion de leur terre. Ils veulent que les Kel Tamasheq aient la possibilité et la légitimité d’administrer leur territoire avec toutes les responsabilités que cela implique, comme pour tout peuple partout dans le monde. C’est à cause de ça qu’ils meurent. Beaucoup sont morts déjà et il y en aura encore qui seront prêts à mourir pour cette cause.

Les combattants, la cause, où en est-on actuellement?
Nous, quand nous étions dans le Ténéré, en Libye, nous n’étions pas du tout habitués aux hôtels, au luxe et aux 4×4 climatisés. Nous étions des combattants prêts à tout moment à résister et à mourir pour notre terre.
Mais à l’époque certains de nos leaders ont vite oublié tout ça. Les mouvements se sont scindés et c’est ainsi que des conflits d’intérêts ont commencé. C’est comme ça qu’on est parvenu à les diviser. Nos chefs ne voyaient pas ce que cela pouvait engendrer. On les a corrompus avec de l’argent, des véhicules, des chambres d’hôtels pour tout oublier. Or, au même moment, les combattants qui se battaient étaient au soleil, ils avaient soif et crevaient souvent de faim.
Ce n’est pas de cette façon que l’on va résoudre nos problèmes. L’argent et le développement ne parviennent toujours pas là où brûle le feu, ni là où se passent les combats. Ce sont les combattants et surtout les populations qui doivent en bénéficier en priorité. Heureusement que tout le monde ne cède pas à l’appât du gain. Il y a ceux qui se fichent pas mal de l’argent, ils s’engagent pour un idéal qu’ils ne troqueront pour rien.
Mais un jour on te ménage, en t’assurant sécurité, salaire, logement, véhicule personnel… et tu ne voudras plus défendre la cause ni retourner là où crépitent les balles et où l’odeur du canon empoisonne l’air.

Certains s’habituent à la ville et au changement des conditions de vie, et ne veulent plus retourner combattre, c’est ça?
Tu sais, même le corbeau, il n’aime plus être dans le Ténéré [rires], à plus forte raison les hommes. Ceux qui découvrent ces privilèges y prennent goût, et s’y habituent. Rares sont les hommes qui y renoncent. Lorsque je rencontre les combattants qui sont sur le terrain je m’y retrouve, mais lorsque je vais chez ceux qui sont censés négocier, je ne les reconnais plus. Ils ne parlent plus le langage que je comprends.

Est-ce que tous les hommes cèdent aux tentatives de corruption et de bien d’autres privilèges?
Non. Personnellement, je suis rassuré par une chose : il existe des hommes qu’on ne peut pas acheter, ni avec de l’argent ni avec des promesses, ceux-là sont dans le Ténéré. Tant qu’ils ont un objectif précis et les moyens nécessaires pour l’atteindre, cela leur suffit. Bamako, Niamey, Tripoli, Alger ou Paris, ils n’ont même pas envie d’y aller. Les États du Mali et du Niger jouent à ce jeu, ils achètent les consciences de nos chefs en leur donnant des postes de ministres, des grades et des passe-droits.

A ton avis est-ce que les revendications de la cause touarègue sont comprises aujourd’hui?
Aujourd’hui, grâce à la médiatisation de la cause touarègue, je pense qu’elle est comprise par un certain nombre de personnes. Mais par contre sur le terrain, ça avance difficilement.
Présentement beaucoup de gens savent que les Touaregs existent, qu’ils ont des revendications, un territoire, qu’ils sont déterminés et peuvent se faire entendre. Là où ça ne progresse pas c’est entre les touaregs eux mêmes. Ils continuent à se battre comme si nous étions au Moyen Age. Actuellement, le MNLA ne se bat plus contre l’armée malienne qui d’ailleurs est à peine présente, il se retrouve confronté à des milices, elles-mêmes financées par des États, et des mouvements terroristes tels qu’AQMI et le MUJAO. Ces mouvements recrutent parmi les populations en les payant gracieusement ce qui a pour finalité de diviser le peuple et détruire sa cohésion. C’est une stratégie utilisée par les États pour nous affaiblir et nous détourner de nos revendications.
Je me demande pourquoi cette malédiction. Pourtant, quand il s’agit de stratégie militaire, de conquérir des positions ennemies nous savons le faire. Ensuite arrive inévitablement le moment des négociations, mais là où le bât blesse c’est que les accords, les décisions et les promesses ne voient jamais le jour.

Alors qui peut régler cette situation à ton avis?
Ce sont les Touaregs eux-mêmes avant tout. Une fois que c’est réglé entre eux, sache que c’est réglé. Mais c’est aussi entre les Touaregs et les communautés Arabes qui habitent ce territoire. Tu sais pourquoi les communautés Arabes sont puissantes ? Parce qu’ils sont unis et solidaires entre eux. Ce sont de bons commerçants qui œuvrent pour l’avenir de leur communauté. Ils possèdent l’argent grâce au business, la seule cause qu’ils sont prêts à défendre. Ils ne sont pas forcément contre le Mali mais veulent préserver leur influence sur le terrain et s’imposer face aux Kel-Tamasheq.

Afin que les Touaregs ne prennent pas le dessus, c’est ça?
Exactement. Le jour où les Kel-Tamasheq vont déposer les armes, tu ne verras pas un Arabe en possession d’une arme. Ils ont l’argent. Ils n’ont pas de temps à perdre à prendre des armes. Sais-tu pourquoi on parle des Kel-Tamasheq à travers le monde? Juste parce qu’ils sont divisés. Le jour où ils redeviendront unis, plus personne ne parlera d’eux.

Est-ce que les armes peuvent encore régler quelque chose dans cette cause?
Les armes c’est une force, on te fait une place lorsqu’on sait que tu en disposes. Tu sais, à cette époque, nous avions tous les mêmes objectifs, la même conviction. Quand on faisait une attaque, parfois nous étions cinq à se partager la même Kalachnikov. Nous nous mettions en rang, le premier avec l’arme et son couteau et dès que notre camarade flanchait, le suivant récupérait son arme et prenait sa place. S’il tombait, un autre la récupérait et ainsi de suite. Les premières attaques à l’époque se sont passées comme ça. Si les combattants des années 90 avaient eu les armes qu’on possède aujourd’hui, ils auraient pu prendre tout le pays.

Cette fois-ci, il y a plus d’armes sur le terrain comparées aux années 90, mais d’autres problèmes sont nés et on constate que cette présence massive d’armes n’a pas amélioré la situation. Pourquoi?
Présentement les armes à elles seules ne peuvent pas régler tout. Il faut certes des armes mais aussi et surtout des cerveaux derrière. Le pire dans tout ça, c’est que les États ont compris comment soudoyer nos chefs. Moi, je suis un combattant, tu ne vas pas me mettre face à un sortant de l’ENA, qui tient des discours politiques, et qui a 40 ans de plus que moi pour discuter avec lui. Je ne sais pas ce qu’on pourrait se dire. Je ne comprends pas son langage. Mais si tu m’amènes sur le terrain de combat, je sais ce qu’il faut faire. Les pièges qu’on rencontre lors des tables de négociations et autres me dépassent. Ceux avec qui ils négocient les invitent individuellement après les négociations. Ils ne les invitent jamais ensemble. Celui qui vient, on lui abat un mouton, lui offre tout ce qui va avec… Dieu le sait, si on pouvait négocier sur place, dans le Ténéré, ça serait mieux. C’est là qu’on peut constater ce que vivent les combattants et les populations sur place. Si les combattants pouvaient les empêcher d’aller négocier ailleurs, ça serait formidable.
Les États ont les moyens de se rendre sur le terrain, pourquoi faire venir les représentants des mouvements dans les différentes capitales? Pourquoi se déplacer ? Il s’agit d’un dialogue et pas de chambre d’hôtels ni de perdiem.
Lorsque la négociation a commencé au Niger en 1992, un combattant du nom de Tazoughé, paix à son âme, avait dit à Rhissa AG BOULA (leader du Front de libération de l’Aïr et de l’Azaouak (FLAA) : « nous, nous ne bougerons pas d’ici, il faut le dire aux autorités du Niger. Celui qui veut venir sur place négocier avec nous, est le bienvenu. » L’État a envoyé un ministre Touareg rencontrer le mouvement, pensant que ça allait faciliter la négociation. Ça n’a pas marché, car à cette époque, nos hommes savaient parfaitement ce qu’ils voulaient : pas question d’enveloppes, ni de poste de responsabilité. Du coup les négociations n’ont pas abouti. On avait donné la position du front à l’armée nigérienne, qui par la suite est arrivée à Adagh-bous et ça été un carnage. Les anciens l’ont déjà dit, il ne faut jamais négocier dans les capitales ni dans les hôtels. Plus jamais, sinon ça sera le même scénario que les années précédentes.

En tant que musicien et ancien combattant, quel rôle joue la musique dans la transmission des revendications de la cause touarègue?
La musique a joué un très grand rôle. D’abord, il faut savoir que la musique a commencé au Mali, c’est elle qui a conscientisé tous les Touaregs, en particulier les jeunes et tous les autres de ma génération. A l’époque nous écoutions des K7, elles nous ont ouvert les yeux sur les injustices, la marginalisation et les souffrances qu’ont vécues nos ancêtres et que nous continuons à vivre de génération en génération. Cette musique nous a fait prendre conscience que nous sommes dans des États, des systèmes qui nous étouffent.
Ensuite, Dieu a bien fait les choses. Notre musique a attiré l’attention des Occidentaux et du monde extérieur. Ça nous a vraiment aidés. Beaucoup ont compris nos revendications grâce à la musique.

Est-ce que tu as un dernier mot à l’endroit des combattants et des Touaregs en général?
Aujourd’hui ce que j’ai à leur dire, je le dis à travers mes chansons. Dans ce monde, nous sommes justes de passage, et il faut faire en sorte que nous laissions des repères à nos enfants pour l’avenir. Ces repères doivent avoir pour fondation l’entente et l’union. Car, je sais que personne ne pourrait nous nuire si nous étions unis. Il faut apprendre à nos enfants à s’unir et à s’entendre. C’est la seule chose qui pourra nous sauver. Mais lorsqu’un enfant naît et qu’on le stigmatise parce qu’il est de telle caste, de telle tribu ou de telle couleur cela ne va pas nous unir et encore moins nous faire avancer. C’est à nous les aînés, de changer cette mentalité.

Propos recueilli par Assaleck AG TITA

 

 

 

 

 

 

Partagez

Commentaires

Abdouhamid
Répondre

C'est une très belle interview qui résume la question touareg et ses mutations au fil du temps.

Assaleck AG TITA
Répondre

Merci. Une mutation qui semble ne jamais s'arrêter, toujours en déclin catastrophique.