Militant pour la cause touarègue dans les années 90, Ahmed Ousmane se bat pour promouvoir la culture Touarègue en France vers 1983

16/06/2014

Militant pour la cause touarègue dans les années 90, Ahmed Ousmane se bat pour promouvoir la culture Touarègue en France vers 1983

Crédit photo: Agdal WAISSAN
Crédit photo: Agdal WAISSAN

Ahmed Ousmane est conseiller spécial chargé du tourisme au cabinet du Premier ministre du Niger, j’ai eu cet entretien avec lui à la rencontre annuelle de la diaspora touarègue d’Europe.

 Je m’appelle Ahmed Ousmane, je suis né au Niger et, comme beaucoup de jeunes, j’ai quitté le Niger dans les années 80 pour aller en Libye.

Arrivés en Libye, nous nous sommes dit qu’il fallait commencer par apprendre avant tout à se protéger, protéger nos parents et nos terres, et cela devait commencer par l’apprentissage des armes.

Nous avons  appris le maniement des armes et, à la fin, nous nous sommes rendu compte que la Libye voulait nous utiliser pour d’autres causes qui ne nous concernaient pas directement. Même s’il y avait des injustices dans ces endroits où elle voulait nous envoyer, là n’était pas notre priorité ni notre cause, et nous n’avons pas été d’accord.

C’est là que je suis venu en France, en 1983, dans le but de sensibiliser les citoyens d’ici à notre cause, des problèmes que vivent nos populations. Leur dire nos difficultés et ce que nous vivons au quotidien afin de chercher des soutiens et des solutions.

Quels étaient ces problèmes dont vous parlez ?

Être dans ton pays, que tu penses être ton pays, mais, en fait, tu ne lui appartiens que par le nom, mais, en réalité, c’est comme si ce n’était pas ton pays. Tout ce qui concerne la prise de décision ou être impliqué dans la résolution des difficultés de ton pays, avoir des responsabilités, prendre des décisions, dans le commerce, la politique, l’éducation…. et tout ça, et tu découvres que tu n’es pas concerné comme citoyen de ce même pays. Être chez soi et que quelqu’un ose te dire de quitter ton chez toi et d’aller ailleurs, cela signifie que ce territoire ne t’appartient pas. Vous savez déjà que, chez les Touaregs, il n’y a pas assez d’écoles il y a quelques années, et celles qui fonctionnent, ce n’est pas tout un chacun qui peut envoyer son enfant ; cela demande certaines conditions qui ne sont pas à la portée de tous. Les populations sont dans la survie. Il n’y a pas plus pénible que d’être en permanence dans une telle situation.

A cette époque, c’était très difficile et personne à l’étranger ne savait exactement ce que les populations vivaient. Il n’y avait pas les moyens de communication comme aujourd’hui, les messages n’étaient pas vite transmis ; tu ne pouvais même pas écrire une lettre pour informer les autres de ta situation, même pas ta famille. Il faut beaucoup de temps pour expliquer les maux que vit ce peuple, il faut beaucoup de temps.

Qu’est-ce qui a été le plus difficile pour sensibiliser à la cause touarègue en France lorsque vous êtes arrivés ?

Le plus difficile, c’est de dire aux gens qu’il y a des problèmes au Mali et au Niger ; l’opinion publique française ignorait tout du problème. Le peu de gens qui étaient au courant, c’étaient les politiques et les militaires, mais surtout les politiques. Et les politiques n’avaient pas du tout envie que l’on sache ce qui se passait là-bas parce que, en fait, ils se sentaient concernés eux-mêmes.

Lorsque nous sommes arrivés ici, et nous avons parlé de ça, on nous a dit : « Non, non, il n’y a pas de problème au Mali ni au Niger. » Alors qu’on parlait déjà de milliers de personnes qui partaient en Libye. Et cela signifiait que ça n’allait pas du tout.

L’opinion publique française n’était pas informée de ce qui se passait à cette époque?

Dans les années 80 jusqu’à 95, les gens n’étaient pas au courant, même les massacres qui ont eu lieu à Tchin-Tabaraden (Niger). On a eu du mal à en parler et plus encore à expliquer ça aux gens. Et à faire reconnaître ce qui s’était passé.

Il n’y a pas eu d’enquêtes judiciaires au sujet de ce massacre, en particulier ?

Non, les auteurs de ces massacres n’ont jamais été inquiétés, jusqu’à aujourd’hui. Au contraire, certains  exécuteurs de ces massacres ont été gradés par le gouvernement du Niger de l’époque. Il s’agit d’un certain Maliki Boureyma, qui était un capitaine à l’époque et, aujourd’hui, il est général, en tout cas pas loin. Il se promène en toute liberté à Niamey sans être inquiété. La conscience tranquille et aussi celle de ceux qui lui ont donné ce grade. Pour eux, c’est normal.

Quel est votre avis sur l’évolution de cette situation, avec les changements et aussi les nouvelles donnes qui se sont ajoutées à la cause, les combattants, les revendications?

En 2014, il y a eu beaucoup de choses qui ont été faites. Au Niger, il y a eu les rébellions que nous avons tous connues, 1990-1998 ; il y a eu le cantonnement et les accords qui ont été signés, mais qui n’ont pas été forcément respectés à l’époque. Le Mali, c’est pareil. Il y a la situation qu’on connaît aujourd’hui. Je pense qu’au Niger on peut dire qu’il y a un petit calme relatif comparé au Mali. Il y a une certaine prise de conscience au Niger qui fait que ça va pour le moment et encore, ce ne sont pas tous les dirigeants nigériens qui reconnaissent le problème touareg. Au Mali, la situation, vous la connaissez.

Mais le problème existe ! Même au Mali, on ne le reconnaît pas tout à fait. Au Niger aussi, comme vous venez de le dire, les autorités ne se sentent pas toutes directement concernées. Quelle est la véritable nature de ce problème, qui, pourtant, saute aux yeux ?

C’est un problème. Je pense que les autorités nigériennes, je ne sais pas, mais si elles disent que ça ne les concerne pas, elles ont tort ! C’est un pays voisin, on a le même peuple, les Touaregs du Mali et du Niger sont les mêmes, ce sont les mêmes familles. Le Mali et le Niger, c’est le même pays si on peut le dire comme ça, même si ce sont des États indépendants, plus ou moins indépendants. Ils ont les mêmes souffrances, les mêmes problèmes et les mêmes solutions. Au Niger, il y a eu des tentatives, il y a encore des efforts qui se font ou qui sont faits par certains dirigeants, dont le président du Niger actuel et son Premier ministre. Maintenant, je sais qu’il y a des gens qu’on appelle des perturbateurs qui essaient toujours de perturber tout ce qui se passe, tout ce qui va dans le bon sens. Malheureusement, ils sont très nombreux au Niger aussi.

Ces personnes-là empêchent la réconciliation ?

Oui, qui empêchent en tout cas l’application des accords qui ont été signés par tous ces pays-là.

Comment voyez-vous la situation cette fois-ci, puisque des accords seront signés tôt ou tard ?

Je ne suis pas le mieux placé pour vous le dire. Je pense que maintenant le Mali n’a pas le choix, ce qui est fait est fait. Les combattants touaregs et autres de l’Azawad ont montré leurs capacités à contrôler la situation, en tout cas à reprendre des localités qui leur ont été prises avant. Je souhaite que le Mali ait la sagesse d’essayer de trouver une solution. Je l’espère pour le Mali et pour les communautés maliennes, quelle que soit leur origine.

Vous avez fait venir des chameaux jusqu’à Paris sur le plateau de TF1 ? A quel propos ?

Certaines personnes voient ça peut-être comme du folklore, alors que, pour moi, pas du tout. En réalité, ce n’est pas ça, c’était une façon de sensibiliser les gens à travers la culture et tout ce qui est traditionnel. On avait attiré l’attention des gens ; moi, j’avais commencé à travailler dans le tourisme en France, tout simplement, d’abord, pour vivre, mais en même temps pour essayer d’attirer l’attention des gens, les sensibiliser, les attirer par rapport à l’image qu’ils avaient dans leur tête d’un Touareg avec un chameau vêtu de bleu. C’est vrai, pour certains, ça peut être du folklore, mais quand on est concerné et qu’on cherche tous les moyens pour attirer les gens, on ne voit pas les choses de la même manière. J’ai eu cette idée, j’ai fait  venir des dromadaires à l’époque de Tunisie. Tout ça m’a permis d’aller vers la presse, et la presse est plutôt venue vers moi. Du coup, nous avons déplacé des chameaux jusqu’à Paris, sur le plateau de TF1, et puis dans ma région, au Niger.

Tout ça pour parler de la culture touarègue ?

Tout ça pour parler, trouver une possibilité d’informer et, surtout, d’alerter l’opinion sur ce qui se passe dans ces pays qu’eux présentent comme le pays du Touareg avec un chameau.  Ce qui n’est pas forcément faux ni vrai, d’ailleurs, parce que le Touareg peut être au pied de la tour Eiffel et il restera Touareg, ou bien, en plein désert avec son chameau, il restera Touareg aussi. Comme, en France, il peut y avoir un citoyen né en Corrèze et ensuite devenir président. Les Touaregs, c’est pareil, ce sont des gens comme tout le monde ; ils peuvent être nomades, agriculteurs, cultivateurs ou commerçants, mais peuvent aussi accéder  à des postes de responsabilité importants. La preuve au Niger, aujourd’hui, le Premier ministre est touareg, et c’est l’une des initiatives prises par l’État du Niger qui sont à saluer. Ça a permis de montrer à un niveau international qu’il y a de la volonté. Il faut que ça soit une continuité pour que ça marque historiquement les esprits, et que tout un chacun ait droit à des postes de responsabilité, pas uniquement pour les Touaregs, mais pour tous, y compris le mandat de président, pourquoi pas ? Rien n’est impossible. Avoir tous les mêmes droits, étant tous citoyens du même pays. Je souhaite qu’au Mali, on arrive à une situation similaire ou meilleure même, pour toutes les populations maliennes, y compris les Touaregs.

De par votre expérience, qu’est-ce que vous voyez ou qu’est-ce que vous constatez, parce qu’on dit que les Touaregs ne sont pas tout à fait unis ? Qu’est-ce qui fait ça, et est-ce vrai?

Je pense que tous les peuples qui ont connu les mêmes problèmes que les Touaregs, ils sont passés par là. On ne peut pas s’unir dans une situation pareille, chacun a ses problèmes, et nous sommes très fragiles, chacun peut intervenir pour nous diviser et nous ne sommes pas les seuls. Dans tous les pays du monde, les peuples ont été divisés, chaque peuple qui connaît les mêmes situations que nous ont d’abord été divisés. Regardez le cas du Soudan, l’Ethiopie et l’Erythrée ; donc ils ont connu la même chose, les Arméniens, les Kurdes et même les Français dans le passé. Tous ces peuples ont souffert de ces divisions.

Les Touaregs, ils sont comme tout le monde. La première chose à faire, c’est l’instruction d’abord, puis une reconnaissance par le pays où ils sont et, cette reconnaissance, elle peut s’exprimer soit en autonomie, soit en fédéralisme pour ce qui concerne le Mali, et pour certaines les indépendances. Nous, on ne peut que leur souhaiter de trouver la meilleure solution avec le gouvernement malien.

Puisque le gros problème, c’est à Kidal, en tant que Nigérien, est-ce que les gens de Kidal peuvent eux seuls s’en sortir, donc sans le soutien des Touaregs du Niger, de l’Algérie, de la Libye, du Burkina et autres ?

Je pense que tout récemment les Touaregs du Niger ont demandé au Niger de faciliter et de donner des moyens aux populations du nord du Mali (Azawad) de se retrouver à Niamey, et ça c’est une initiative du président nigérien, mais sur la suggestion de Touaregs, notamment du Premier ministre. Le Niger essaie de participer puisqu’il se sent concerné, d’abord parce que c’est le même peuple, mais aussi en tant que pays voisin et frère afin de trouver des solutions qui seront les meilleures pour les populations du Mali.

As-tu un message en particulier ?

Je dis aux Touaregs, s’ils ne sont pas unis, il faut d’abord régler ce problème de division, c’est la priorité. Qu’ils se retrouvent et qu’ils sachent ce qu’ils veulent, pour revendiquer les mêmes choses, parler de la même voix, associer les autres populations qui sont dans le nord du Mali. Demander des conseils, des aides à leurs frères, qu’ils soient du Niger, de l’Algérie, de Libye, du Maroc, de la Tunisie et même des autres pays africains, le Nigeria et autres. Je ne pense pas que ces gens s’opposent à une solution pour les Touaregs dans leurs pays respectifs.

Maintenant, pour ce qui concerne le Mali, les choses sont allées loin, donc je ne suis pas sûr que les choses vont être comme avant, mais il faut trouver une solution la plus sage possible et la plus efficace pour les Touaregs et pour le Mali.

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