Nous sommes au Studio « Bogolan » de Bamako, à l’occasion de l’enregistrement du 2éme Album « Toumastin »de Tamikrest
Ousmane AG MOSSA, Leader du groupe Tamikrest
Ta première tournée à l’étranger vient de s’achever. Comment cela s’est-il passé ?
Cette première tournée m’a permis d’acquérir une ouverture sur d’autre continent comme l’Europe. Partager la scène avec des artistes de tous horizons, face à un public d’une autre culture, c’est très enrichissant. Notre musique reçoit partout un très bon accueil, que ce soit à Paris, à Kidal, au cœur du désert ou en Algérie. Au-delà des différences d’expression et des modes de vie, nous avons réussi à transmettre notre message et partager notre passion. Certes, nous n’affichions pas « complet », mais nous nous réjouissons d’avoir eu un réel succès d’estime auprès d’un public très à l’écoute et c’est aussi pour nous, une expérience inestimable.
Actuellement, vous êtes ici à Bamako avec le groupe au grand complet pour l’enregistrement de votre second album. Quel est votre message essentiel ?
Cet album évoque ce que vit actuellement mon peuple « les Kel tamasheq ». La politique est contre mon peuple. Il n’y a pas vraiment de cohésion sociale au Mali. J’ai pu constater que cette désunion totale ne mettait pas en cause la volonté des populations du pays, mais c’est comme un mal enraciné, un poison et cela me touche profondément… Avant de rechercher l’autonomie ou obtenir des droits, il faut d’abord que l’on tisse des liens intercommunautaires solides et sincères, que l’on ait des objectifs communs et que les intérêts personnels ne soient pas mis en avant.
Veux-tu dire que le pouvoir de Bamako laisse le peuple touareg à l’écart des décisions qui sont prises ?
A mon point de vue, il ya un très grand contraste entre le Sud et le Nord du Mali. Cela dit, à Bamako je constate les effets d’une énorme corruption, chose qui nous empêche d’aller de l’avant et de développer notamment la région du Nord Mali. Je remarque aussi que le gouvernement du Mali profite des conflits qui se passent dans la zone de Kidal car lors des négociations, d’importantes personnalités soutiennent le développement du Nord mais les financements n’arrivent pas toujours à bon port et restent dans la poche des corrompus qui les utilisent à d’autres fins, soit pour leur enrichissement personnel ou pour favoriser, dans leur fief, les prochaines échéances électorales.
Quand penses-tu que cette situation changera et qui peux la changer ?
Nous somme les seuls qui peuvent la changer, nous le peuple Touareg. J’ai longuement réfléchi sur la question, à savoir pourquoi après 50 années de révoltes, il n’y a toujours pas de changement ? Alors je pense que le problème ne se situe pas au niveau du combat, mais plutôt à cause de cette perpétuelle division qui se creuse au sein du peuple Touareg lui-même.
Nous allons revenir à l’album qui s’enregistre ici au studio Bogolan, composes-tu tes textes avec d’autres artistes ?
Quelquefois, je compose avec les membres de mon groupe. Mon style de composition est d’écrire au préalable un long paragraphe que par la suite je résume pour en tirer l’essentiel du contenu. Ensuite, les partenaires du groupe donnent leur avis sur un premier résumé que nous retravaillons ensemble. Nous somme un groupe « démocrate » ayant des idées et des personnalités très différentes, mais un objectif et des idéaux communs. Par ailleurs, chaque fois que je compose de la musique, c’est avec le groupe qu’elle est finalisée. C’est un véritable travail d’équipe.
Quel sont les moments où tu aimes t’asseoir pour composer ou écrire un texte ?
C’est dans des moments de solitude que je trouve l’inspiration, c’est-à-dire la nuit entre minuit et l’aube, quand tout le monde dort et qu’il y a peu de bruit car j’aime le silence qui me rend créatif.
C’est-à-dire que tu ne composes que dans le désert où règne le calme absolu, loin du tumulte de la capitale ?!
Tout à fait. C’est aussi dû au fait que je suis né dans un village isolé, où il y a peu de monde. J’ai beaucoup pratiqué la solitude et c’est pour cela je ne suis pas tout à fait à l’aise dans un environnement citadin et bruyant.
Quel message souhaites- tu passer, au travers de cet album, à la jeunesse Touarègue ?
C’est une question plutôt sensible, mais je voudrais que la jeunesse sache « qu’un peuple n’est
rien sans sa jeunesse », qu’elle représente l’avenir de demain, qu’elle n’a pas à regarder le
coté négatif des choses, ni marcher avec les idées d’autrui. Il faut surtout qu’elle se focalise sur ses propre réflexions et ses objectif et ses idéaux, à savoir adhérer et participer au développement de la région Touarègue.
Le groupe vient d’intégrer un nouveau musicien. Aura-t-il un rôle particulier ?
Mahmoud AG Ahmoudène qui vient de nous rejoindre, est un très bon compositeur que j’ai connu lors de mon initiation à la guitare. Lui a appris bien avant moi et j’ai découvert qu’il avait les mêmes ambitions que nous, avec beaucoup d’idées. Je suis convaincu que l’on va pouvoir réaliser beaucoup de choses ensemble que je n’aurais pas su faire seul.
Quelle sont les difficultés que vous avez rencontrées ici à Bamako, que ce soit dans le cadre du studio ou dans la ville elle-même ?
Au niveau du studio, il y a eu beaucoup de changements qui nous entravent, par rapport a l’année d’enregistrement de notre premier Album. Les problèmes sont d’ordre technique car nous disposons d’amplificateurs qui ne donnent pas satisfaction. C’est plutôt décourageant, mais nous n’avons pas le choix et nous feront le maximum pour sortir un bel album.
Quelle relation entretenez-vous entre Tamikrest et Dirtmusic ? Ce partenariat vous donne-t-il toujours satisfaction, de part et d’autre ? (Pour mémoire, c’est avec Dirtmusic que vous aviez réalisé le premier album et effectué vos premières tournées).
Avant toute chose, Dirtmusic entretient une relation amicale avec Tamikrest et on travail jusqu’à ce jour en collaboration, puisque notre producteur, Chris Ekman, est le leader de Dirtmusic. Toute la tournée européenne s’est faite avec eux. C’était vraiment merveilleux de jouer avec Dirtmusic ; en plus l’Europe, c’est leur territoire, donc il maîtrise davantage le milieu musical que nous et cela ne peut que nous apporter un plus.
Alors, à quand la prochaine tournée ?
Pour le moment je ne peux pas donner une date exacte, mais ce qui est sûre c’est que notre nouvel album sortira vers fin Avril, puis suivra la promotion et ensuite la tournée.
Es ce que tu as un message particulier à passer ?
J’ai surtout et encore un message à transmettre à la jeunesse Touareg que je préfère appeler Kal Tamasheq, ce qui est plus significatif, à titre culturel. Je lui demande de réfléchir, avec beaucoup de conscience, en long et en large, aux difficultés que traverse leur peuple.
Quelles conséquences cette situation aura sur le devenir de leur enfant ou de leur petit enfant ? Quels remèdes, aussi modestes soient-ils, peuvent ils apporter à la communauté pour remédier à ces problèmes pour qu’ils ne soient pas supportés aussi par leur descendance ?
Fort malheureusement je constate que depuis une cinquantaine d’année, les mêmes problèmes se répètent. Il est temps que la jeunesse se mobilise, se batte et se sacrifie pour le bonheur de ses futurs enfants. Il ne faut surtout jamais oublier que la jeunesse représente le pouvoir du peuple. Elle doit donc s’unir, partager les mêmes idées, avoir les mêmes objectifs pour le bonheur des Kal Tamasheq.
Merci.
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